LES NOMADES DE LA MER (MOKENS) À RAWAI

Les premiers habitants de Rawai furent assurément les Chaoleys (sea Gypsies), installés durant la seconde guerre mondiale. Probablement originaires du Myanmar, ces nomades de la mer ont finit par se sédentariser au sud de Phuket. Ces 20 dernières années, les Mokens ont aussi su tirer profit de l'essor touristique à Phuket.

Les Thaïlandais et les Chinois de Phuket, ont longtemps privilégié la ville de Phuket, en laissant la liberté aux Chaoleys de s'installer sur les côtes Est de l'île. Le gouvernement a quelquefois évoqué une possible expulsion des Chaoleys sans jamais y donné suite. Mais ces dernières années, leur domaine à Rawai, en bord de mer, attise les convoitises des promoteurs non-scrupuleux. Aujourd'hui, il semblerait que les hautes instances aient adopté une autre manière d'agir en prenant la défense des gitans de la mer.
GAMINS CHAOLEYS A RAWAI PHUKET THAILANDE
Publié par Rawai.fr - Mis à jour le 29/10/2025

QUI SONT LES GITANS DE LA MER ?

VILLAGE DES GITANS DE LA MER RAWAI PHUKET

En Thaïlande, on dénombre trois principaux groupes de "gitans de la mer", les Mokens, les Moklens et les Urak Lawoi. Surnommés Chaoley (Chao : gens - Ley, diminutif de thale : mer) par les Thaïlandais.
Ils sont experts en natation, plongée, apnée et pêche d'où les autres dénominations ”Gypsies, hommes de la mer”.
Les Mokens, aujourd'hui, restent un peuple traditionnellement nomade, comme leurs ancêtres, ils vont de criques en criques, y restant le temps de profiter des poissons et des ressources de l'endroit mais repartent ensuite afin de laisser la nature rétablir la balance écologique. Il est très difficile de suivre la trace de leur style de vie historique et culturel car ils ne possèdent aucune langue écrite. On rapporte seulement que leur origine se trouverait sur les îles Andaman et Nicobar entre l'Inde et la Birmanie. Ils sont généralement installés dans les îles du nord de Phuket et dans la province de Phang Nga.
Les Urak Lawoi et les Moklens, eux se sont installés sur les côtes. Trois villages de gitans de la mer sont campés sur Phuket. L'un à Rawai semble être le plus ancien (probablement débarqué durant la seconde guerre mondiale). Un autre à Sapam Coast à 8 km au nord de la ville de Phuket, et le troisième sur l'île Sirey accessible au départ de Phuket town.

Leur façon de vivre a rapidement changé ces dernières années, mais en voyant leurs sourires, tout laisse à croire qu' ils ont conservé une joie de vivre inaltérable. Ils parlent leur propre langue proche du malais mais influencée par le thaï. Ils suivent leur propre croyance animiste qui attribue une âme aux animaux, aux choses, etc...
La légende dit qu'une femme chaoley fut changée en tortue de mer à tête humaine. Depuis, les gitans de la mer associent les tortues à des soeurs du genre humain et leurs consacrent une cérémonie pendant laquelle ils ont le droit de les pêcher et les manger...
Dans leur vie quotidienne, ils pratiquent encore couramment le troc. Mais vu le flux touristique incessant, une micro-économie s'est récemment développée : Marchés aux poissons et coquillages, restaurants, commerces de souvenirs et transports en long-tail vers les îles voisines.
Quand vous visiterez ces villages vous pourrez découvrir les qualités indéracinables de cette ancienne culture : Insouciance, liberté, couleurs, hospitalité et faible criminalité.

NOMADE DE LA MER A PHUKET

ENTRE OUBLI ET EXCLUSION...

JEUNE FILLE MOKEN A RAWAI

Malgré leur exposition, les victimes Mokens du tsunami de décembre 2004 ont été peu nombreuses. Leur savoir traditionnel les a épargnés. La fureur apaisée, la vie aurait pu reprendre comme avant, entre oubli et exclusion, mais libre de ses mouvements. C'était compter sans la seconde vague – la vague humanitaire.
Cette ethnie, qui vivait aux marges des lois de la globalisation et de la pensée néolibérale, n'a eu d'autre choix que de se plier à la volonté d'acteurs humanitaires animés par des stratégies ignorant les réalités locales complexes.

Lors d'un récent meeting entre membres du gouvernement et représentants de la communauté Chaoley, de nombreux problèmes ont été évoqués. Le représentant de Rawai, Sanit Saechua estimait sur les côtes Andaman, en Thaïlande, les 12 000 Gypsies séparés dans plus de 30 groupes différents. Il déclarait qu' en dépit de la publicité accordée à leur style de vie différent lors du désastre de 2004, ils vivaient encore comme des citoyens de seconde classe et ne bénéficiaient pas des même droits et avantages que les citoyens thaïlandais. L'absence de droit de propriété sur les terres est le principal problème. La plupart de ces populations sont basées sur les côtes et n'ont pas de titres de propriété. Certains de leurs villages sont répertoriés, d'autres non. Yupa Chaonam de la communauté de Phi Phi Island, expliquait lui, qu'ils n'étaient pas autorisés à construire ou entreprendre le moindre projet. Mr Sanit déplorait également que 30% des Gypsies vivant sur le territoire thaïlandais ne possèdent pas de carte nationale d'identité. Ils n'ont donc pas accès aux services publics, notamment la santé. De plus, ils ne peuvent pas voyager sans être considérés comme des étrangers en situation illégale, ils sont donc emprisonnés lors des contrôles policiers et douaniers. Le gouvernement thaïlandais assure qu'il met tout en oeuvre pour résoudre ces problèmes en instaurant des mesures spécifiques permettant de protéger la culture traditionnelle de la minorité gypsy face à la politique touristique menée.

Affaire à suivre donc, en souhaitant que les droits de ces petits villages soient respectés pour éviter leur disparition.

LES CHAOLEYS DE RAWAI EN 2023

RESTAURANT DU VILLAGE DES CHAOLEYS A RAWAI

Le village Chaoley de Rawai beach n'est pas devenu en 2023 une attraction touristique incontournable... Jadis, il présentait pourtant un charme discret et les traditions de ses habitants perduraient et intriguaient. Aujourd'hui, la petite rue qui longe la mer n'est qu'une étendue de magasins de souvenirs sans grand intérêt et de restaurants de fruits de mer... Plus loin vers le cap, on construit toujours les gigantesques casiers de pêche et on entretient les long tails les plus anciens mais la pêche n'est plus l'activité économique principale.

Dans le courant des 20 dernières années, on a progressivement constaté un changement d'humeur chez les Chaoleys, l'ambiance locale et l'accueil semblaient perdre en qualité et en naturel. Comme si l'afflux touristique massif les agaçait. Il faut reconnaître que les visiteurs d'aujourd'hui ont le don d'exaspérer. Les "instagrameurs" et amateurs de selfies ne sont plus les bienvenus dans la ruelle, à tel point que les panneaux d'interdiction de photographier ont fleuri un peu partout.

Ces dernières générations de Mokens n'ont plus grand chose de Moken. Les traditions disparaissent au grand désespoir des anciens. Le fric a pris le dessus. La sédentarité les aura privé de cette liberté unique dont ils jouissaient à naviguer de côtes en côtes. Le mépris des gouvernements successifs, le tourisme effronté et invasif ont définitivement annihilé leur différence culturelle.

Des événements majeurs de l'histoire récente ont marqué et transformé cette peuplade nomade. Le tsunami, ses "aides" humanitaires, le surtourisme, le marché immobilier, le dédain des Thaïlandais de Phuket, la crise sanitaire et un manque général de reconnaissance ont progressivement engendré chez les Chaoleys de Rawai, une perte d'identité, un sentiment d'injustice et d'exclusion, une colère et une marginalisation.

Cette ethnie, comme la plupart des petites communautés, se fragilisent et suffoquent face aux incohérences du monde moderne. La confrontation est inégale, la puissance et la violence du capitalisme libéral maltraite et pulvérise l'homme réfractaire et minoritaire. 

C'est ainsi. Le peuple Moken rend son dernier souffle...

CHASSEUR MOKEN PHUKET
PAPY MOKEN PHUKET
Crédits photo : Christophe Entem, Guillaume Cloup

"KOH LANTA SEA GYPSIES" PAR RAPHAËL TREZA

Découvrez l'excellent documentaire de Raphaël Treza, un réalisateur et musicien français, qui présente le quotidien d'un pêcheur chaoley de Koh Lanta.  Sur la chaîne YouTube de Raphaël, vous pourrez visionner d'autres reportages de qualité, tournés en Asie du Sud-Est et diffusés sur les chaînes de télévision Discovery Channel Asia et Arte :

  • "Hallucinogen Honey Hunters" (2010)
  • "Cobra Gypsies" (2015)
  • "Borneo Death Blow" (2018) 
  • "Mystery Mind Maps" (2019) 

« CHRONIQUE D'UNE DISPARITION ANNONCÉE »

CHAOLEY RAWAI 1976
Jeune pêcheur chaloey posant devant l'appareil photo de Jean Boulbet en 1976

Après une dure journée de boulot, nos amis internautes ont bien souvent la fâcheuse tendance à se laisser aller au scrolling et aux clics faciles vers des sites aux thématiques légères et nous le comprenons fort bien. Les plus rigoureux d'entre vous ne manquerons pas de nous conspuer car nous l'admettons, se proclamer « guide de Phuket » et survoler aussi sommairement la culture Moken n'est guère plaidable... 
Nous nous efforcerons donc de combler cette carence en développant davantage notre enquête sur ces anciennes peuplades qui dérangent et dont plus personne ne se soucie.
L'ethnologie n'est pas notre spécialité mais quelques illustres chercheurs parmi lesquels Jacques Ivanoff, inspireront nos investigations.

L'EXPENSION AUSTRONÉSIENNE

Chronological dispersal of Austronesian people across the Pacific (per Benton et al, 2012, adapted from Bellwood, 2011)

JACQUES IVANOFF

Impossible de dresser le portrait de Jacques Ivanoff sans évoquer son père Pierre Ivanoff, explorateur passionné par les peuplades minoritaires. Pierre Ivanoff a d'abord exercé ses talents d'ethnologue lors de nombreux séjours en Amérique du sud (jusqu'au début des années 50), puis en Asie du Sud-Est (en Indonésie, en Birmanie et en Thaïlande). Il meurt en 1974, assassiné en mer d'Andaman, lors d'un tournage sur les Mokens.
Son fils Jacques, est aux yeux des Mokens, le digne successeur de son père et assure ainsi une continuité dans les recherches scientifiques consacrées aux nomades de la mer. Il soutient une thèse de doctorat intitulée Les Naufragés de l’histoire. Les jalons épiques de l’histoire Moken, puis écrit plusieurs études et ouvrages. Il devient chercheur au CNRS, participe à la création de l'Irsea (Institut de Recherche en Sémiochimie et Éthologie Appliquée), et collabore pendant près de 10 ans avec l'université du Prince de Songhkla, en Thaïlande.
Plus tard, ses recherches s'élargissent et concernent tous les Austronésiens de Thaïlande du Sud, il détaille notamment les causes culturelles des violences endémiques de la région.
En 2012, il intègre le Museum national d'histoire naturelle, à Paris.
Considéré comme l'un des plus grand ethnologues de l'Asie du Sud-Est, Jacques Ivanoff est régulièrement invité par les médias afin de commenter et expliquer l'actualité de la région.
JACQUES IVANOFF
KABANG MOKEN COPYRIGHT JACQUES IVANOFF

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