JEAN BOULBET (1926-2007)
L'ESSENTIEL CONCERNANT JEAN BOULBET

HOMMAGE À JEAN BOULBET
La période la plus jubilatoire de sa vie aura certainement été la décennie durant laquelle il a partagé le quotidien de la tribu Cau Maa' sur les Hauts-Plateaux du Vietnam. L'épisode thaïlandais fut quant à lui une promenade de santé consacrée à l'exploration de l'île de Phuket, la découverte de ses habitants, des provinces voisines, Krabi, Phang Nga et sa fameuse baie dont il est devenu le spécialiste incontestable. Il nous laisse 3 ouvrages exaltants et attachants édités par SevenOrients :
- De Palmes et d'épines, TOME 1, Vers le Domaine des génies (Pays maa', Sud Vietnam, 1947-1963)
- De Palmes et d'épines, TOME 3, Vers le paradis d'Indra (Cambodge, 1963-1975)
- De Palmes et d'épines, TOME 3, Vers le port d'attache (Phuket, Sud de la Thaïlande, 1975-2007)
JEAN BOULBET PAR FRANÇOIS BIZOT

Jean Marcel Boulbet s'est éteint le 11 février 2007, à l'âge de 81 ans, dans sa maison de Patong, sur l'île de Phuket, en Thaïlande. Il laisse deux enfants, Laure, née au Sud Vietnam, et Marc-Udom, né à Phuket.
Jean Boulbet était né à Ste Colombe-sur-l'Hers (Aude), le 2 janvier 1926. Engagé volontaire en 1944 dans la Première armée française, puis en 1945 dans la 9e DIC, il fut débarqué à Saïgon et démobilisé sur place, où il devient planteur de thé et de café sur les Hauts-Plateaux. C'est dès 1946 que ce cartographe dans l'âme explore les terres de l'intérieur et qu'il découvre les " Cau Maa' ", population proto-indochinoise encore insoumise, auprès desquels, pendant plus de quinze ans, il acquière ce sens extrême des plantes, de la faune, de la nature, des déséquilibres, des hommes et de leurs interdits, qui va marquer son oeuvre et faire de lui un être à part.
Obligé de quitter le Vietnam en 1963 à cause de la guerre, il obtient à Phnom Penh une licence de géographie, puis passe son diplôme de l'École pratique des Hautes Études. En 1964, il est recruté par l'École française d'Extrême-Orient et rédige la suite de ses études au Vietnam.
Il est détaché à la Conservation pour s'occuper du parc forestier d'Angkor et des sites extérieurs. Devenu membre de l'École française d'Extrême-Orient en 1968, il décide de s'installer au Phnom Kulen, situé entre la dépression centrale du Grand Lac et l'immense pédiplaine du Cambodge septentrional. En 1970, délogé du site des temples par l'invasion vietcong, il quitte son implantation du Phnom Kulen et va poursuivre ses recherches à Battambang, d'où il est expulsé vers la Thaïlande par les Khmers rouges, en 1975. Là, c'est à Nanthabury qu'il se fixe provisoirement, près de Bangkok, avec l'intention de parcourir son nouveau pays d'accueil, en quête d'un lieu idéal pour s'enraciner quelque part. À l'occasion de ces années d'errance, propices à une réflexion plus large, il réalise son rêve de voyages dans d'autres zones équatoriales et tropicales (Indonésie, Malaisie, Inde, Afrique centrale, Amérique du Sud). En 1978, il établit définitivement son domicile à Phuket et se marie. Dans un premier temps, il achève ses travaux laissés en chantier au Cambodge, puis reprend, sans pessimisme, ses recherches sur les hommes, ici ceux des forêts du Sud mais aussi de la mer, avec un regard renouvelé, dans un monde qui n'aura jamais cessé de changer sous ses yeux. Jean Boulbet compte aujourd'hui parmi les savants qui ont fait la grandeur de l'EFEO et de la France. Il laisse l'image d'un coureur des bois sans égal, d'un chercheur insatiable, d'un compagnon fidèle, d'un homme, enfin, pour ceux qui l'ont côtoyé, dont l'approche fut un immense privilège.
Par François Bizot
L'École française d'Extrême-Orient @ www.efeo.fr/
HOMMAGE À JEAN BOULBET PAR THIERRY COSTES

Des mélancolies passent dans l'atmosphère, des bulles de jazz voguent sur la stratosphère et mon spleen qui déferle dans la nuit des îles sous la voûte entre contes et légendes sur le domaine des génies. Des lambeaux de firmament s'évaporent dans un ciel maintenant opaque et moussonneux, c'est l'heure des apocalypses. Un orage s'annonce dans le crépuscule agonisant, trois coups de tonnerre, la foudre fracasse ce colossal espace aux allures de géant théâtre… enfin, un peu de paix. Tiens, voilà le fantôme de Jean qui apparaît sur le chemin des apsaras, sacré Boulbet ! Même dans l'au-delà, il ne peut s'empêcher d'aller traîner dans les sylves à la rencontre des dryades, les filles et les géants verts de la haute foret, son dada à lui, sa flamme, son moteur. Epicurien à ses heures, hédoniste le reste du temps, il a croqué la vie à pleine dent comme s'il s'agissait d'une mangue et son fantôme déambule encore sur les rivages de cet île, Phuket, qu'il a aimé tel aucun autre. Je me balade sur les sentes de Khao Phra Teo, à Talang, et des bouquets de palmes éclatent dans les sous-bois, ces fameux keriodoxa elegans dont ils flattaient les courbes ondulant à la moindre brise sous les choréa et autres dipterocarpaceae. C'était son bébé à lui que ce palmier unique, une espèce végétale endémique sur Phuket, qu'il rencontra à la lisière des confins insoumis dans cette cathédrale chlorophyllienne classée aujourd'hui : Parc National de Khao Phra Teo.
J'embarque maintenant dans la Baie de Phang Nga entre mangroves et nuages, je vais me balader sur ces pitons karstiques plantés comme des obélisques entre ciel et mer, je m'en vais revoir ces peintures rupestres posées là par nos cousins du néolithique épris de grands frissons mystiques. C'est Boulbet qui me les a montrées, il y a une quinzaine d'années, il m'initiait alors aux mystères des sylves du Sud thaïlandais, son panthéon à lui. A moi, l'enfant de la ville, il montrait, au détour de chaque sente, le sourire de la Haute Forêt. Il a été mon guide dans ces paysages qui sont miens aujourd'hui… il n'appartient qu'a vous de les saisir aussi.
Me voici devant ces fameux dessins réalisés par nos ancêtres de la préhistoire dans la Baie de Leuk (Ao Leuk), la partie orientale de la Baie de Phang Nga dans la province de Krabi, j'ai amené le bouquin de Jean, c'est lui-même qui les a découvertes, ces roches peintes, à son arrivée ici, en 1975, après 13 années passées au Cambodge sur le site des temples d'Angkor, expert pour l'UNESCO qu'il était alors. A croire que Spielberg est venu fouiller dans sa vie pour son héros, Indiana Jones. Boulbet, c'est un peu la synthèse entre tous ces personnages : Indiana, Tarzan, Shiva et Ivanhoé. C'est notre héros à nous dans nos jungles humides, notre pierre angulaire, notre chaînon manquant.
Bon, c'est pas tout, ces conneries, c'est l'heure de l'apéro, Boulbet était intraitable sur le sujet, pétanque et Ricard obligés… et « Questions pour un champion » en guise de tapas, de buffet. C'était son heure, son rendez-vous quotidien… d'où son refrain préféré, « les copains d'abord » de l'ami Brassens, son maître à penser, son mentor.
Nous recevons, à l'instant, un témoignage inédit d'une locale qui l'a bien connu, Mademoiselle Nina, et qui vient de l'apercevoir dans la Baie de Patong souriant aux anges et déclamant à tout va quelques poèmes lyriques sur son putain de Keriodoxa… je déconne, bien sur, c'est juste pour le taquiner. Vous croyez qu'il se gène, lui, avec son bonhomme de fantôme, hantant le rivage, à souhait, et baguenaudant sur un air de mousson dans la nuit de l'île ?!...
Je te salue, Jean, tu vis dans ma mémoire !
Par Thierry Costes de Siam Evasion
Je vous file un scoop… Depuis peu, je ferai mieux en basse saison, je me suis balancé dans un boulot de titan, un challenge impensable, écrire la biographie de Jean Boulbet !... Depuis le temps que j’y pense, je me suis enfin décidé mais ce n’est pas une mince affaire. J’en ai pour 2 ou 3 ans avant de tout boucler. Mais on ne peut faire confiance au temps, il file à la vitesse de la lumière, il nous échappe constamment. C’est pourquoi il faut à un moment se bouger avant de se figer par de multiples cancers et syndromes divers. Ça craint.
Bref, je n’arrive point à me résoudre au business seulement et à une vie de famille exemplaire au milieu d’une bonne bande de copains comme tous, c’est déjà bien certes, mais ça ne suffira jamais. Il nous faut impérativement laisser en héritage quelque chose de bien plus géant, une empreinte culturelle qui transcende notre existence seule, c’est essentiel.
Il est temps que je mette mon alchimie verbale au service de ce grand bonhomme qui marqua son temps. Personne n’a encore osé écrire sa biographie, il est temps de le faire.
Toutes ses photos sont désormais accrochées sur les murs de mon salon afin de m’imbiber des atmosphères des confins insoumis du Sud-Vietnam où il vécut dans les années Indochine ; des temples d’Angkor avant l’avènement des khmers rouges où il rayonna durant treize années par ses extraordinaires découvertes ; et de la Thaïlande des années 70, 80 et 90 jusqu'à son dernier souffle au début des années 2000.
Du lourd. Je me tape 15 heures de recherches, d’écritures et de classement au quotidien en day off, je plonge dans son histoire tout azimut, l’ivresse des profondeurs. C’est parti !
Un géant de la terre. Un être tellement inouï au regard de ses découvertes majeures réalisées dans de multiples domaines qu’il serait trop long de tout énumérer d’entrée. Bref, un autodidacte haut en couleur, un érudit culminant désormais sur le panthéon des chercheurs et inscrit à jamais dans l’Histoire et la Mémoire de l’Humanité, j’ai nommé Jean Boulbet. Une légende, quoi.
Sauf que ça va pas vraiment le faire si on se la joue dès le départ dans le mode superlatif, Boulbet n’aurait pas aimé.
Ce bouquin n’a point pour objet de rappeler à tous la somme de ses recherches, ses confrères et chercheurs émérites sauraient mieux que moi le faire. Non, ces quelques pages ne sont qu’un témoignage, une biographie sentimentale du personnage.
Il fut mon pote durant quatorze années sur l’ile de Phuket, jusqu'à son lit de mort pour ainsi dire. Je crois bien que je suis le premier à qui il annonça son imminent trépas alors que je passais le saluer avec ma fille Nina.
Comme souvent en revenant du boulot, j’emmenais ma fille et sa mère dans le moulin à vent de Jean (Boulbet) sur les hauts de Patong à Phuket, sa dernière demeure. C’est là qu’il rendit son dernier souffle. L’aventure s’arrêtait ici. L’odyssée pouvait donc commencer…
J’ai longtemps hésité à écrire ce pavé, la charge est immense, presqu’une montagne à bouger. Il est temps de le faire avant que les dernières lumières s’éteignent.
Au-delà de son aura scientifique, nous nous immiscerons dans l’intimité de cet aventurier et explorateur haut en couleur. Nous franchirons la lisière de ses sentiments les plus profonds au-delà de la vitrine affichée afin de pénétrer dans l’univers psychologique d’un des grands et renversants personnages de l’Histoire du XXème siècle : Jean Boulbet.

... SOUS LE CHARME DU DERNIER SANCTUAIRE CAU MAA' (VIETNAM, 1946-63)

RENCONTRE AVEC LES CAU MAA' (VIETNAM) EN 1946
Aujourd’hui, à travers ces quelques images, nous revenons sur sa rencontre avec les Cau Maa', ce peuple de chasseurs-cueilleurs vivant dans les confins insoumis du sud-vietnamien depuis l’aube des temps. Puis, nous découvrons son environnement quotidien avec les photos sur le Cambodge.
Ni la guerre du Vietnam ni l’avènement des Khmers Rouges au Cambodge dont il fut acteur malgré lui ne purent le terrasser. Avec chance et beaucoup d’intelligence, il s’en tira toujours indemne parmi les dangers immenses qui le poursuivirent sans cesse entre palmes et épines avant de finir sa route en paix à Phuket en Thaïlande, trente années durant.
Le 11 février 2007, Jean Boulbet offre son dernier souffle au firmament dans la nuit des îles. Tristes tropiques.
Thierry Costes
TRISTES TROPIQUES

Il nous a donc quittés, ce Géant, sans pour autant nous laisser sans héritage. Ses découvertes majeures dans les Sciences Humaines et au-delà sont aujourd’hui inscrites dans la Mémoire de l’Humanité ainsi que sur les frontons des temples d’Angkor et dans les sylves du sud-est asiatique. Et malgré tout ça, peu le connaissent.



















