ORIGINE ET HISTOIRE DU PEUPLE MOKEN

Les Moken sont des nomades marins issus de la migration austronésienne, il y a 5000 ans. Cette migration a vraisemblablement débuté depuis le sud de la Chine vers l'archipel Riau-Lingga en Indonésie, puis certains sont remontés par le détroit de Malacca jusqu'aux îles Mergui. Les derniers hommes libres du 21ème siècle.

Après une dure journée de boulot, nos amis internautes ont bien souvent la fâcheuse tendance à se laisser aller au scrolling et aux clics faciles vers des sites aux thématiques légères et nous le comprenons fort bien. Les plus rigoureux d'entre vous ne manquerons pas de nous conspuer car nous l'admettons, se proclamer « guide de Phuket » et survoler aussi sommairement la culture Moken n'est guère plaidable... Nous nous efforcerons donc de combler cette carence en développant davantage notre enquête sur ces anciennes peuplades qui dérangent et dont plus personne ne se soucie. L'ethnologie n'est pas notre spécialité mais quelques illustres chercheurs parmi lesquels Jacques Ivanoff, inspireront nos investigations.
JEUNE MOKEN EN 1976 A PHUKET
Publié par Rawai.fr - Mis à jour le 10/11/2025

QUI SONT LES MOKEN ?

KABANG MOKEN COPYRIGHT JACQUES IVANOFF

Il est compliqué de définir avec clarté les origines de ces différentes communautés. Aussi, parmi les informations dénichées lors de nos recherches, nous retiendrons essentiellement celles de Jacques Ivanoff, reconnu par tous, comme le plus grand spécialiste du phénomène d'expansion austronésienne dans l'océan Indien et plus précisément dans le golfe du Bengale et en mer d'Andaman. 

 ORIGINES

Aucune certitude cependant, puisque ces peuplades n'ont laissé aucune trace écrite de leur histoire. Seule la transmission orale perdure entre les générations depuis plusieurs siècles. Il est donc par exemple très difficile d'estimer l'époque à laquelle cette migration à commencé, d'autant plus que ces nomades n'ont aucune notion du temps. Il semblerait toutefois que le début de ce périple est débuté il y a plusieurs millénaires... Pour ce qui est de leurs origines géographiques, les expertises convergent davantage et affirment que les peuples de la mer sont d'anciens sédentaires provenant de Chine (Taiwan). Au fil des siècles, ceux-ci ont fini par s'installer dans l'archipel Riau-Lingga en Indonésie puis ont remonté, au XVIème, la péninsule malaisienne jusqu'en Birmanie.
Les Moken originaires de l'archipel de Mergui, se diffèrent d'autres communautés semblables, par leurs courtes périodes de sédentarisation, pendant les mois pluvieux. Les Moklen et les Urak Lawoi ont eux choisi de s'installer et construire leurs habitations sur le littoral thaïlandais depuis les îles Surin jusqu'à Koh Lipe.

 PARTICULARITÉS

Les Moken sont un peuple de l'entre-deux, ils ne sont ni des marins de haute mer, ni des forestiers, ils se sont trouvés une niche écologique entre la terre et la mer, entre la limite de la marée étale et les frondaisons aux limites de la forêt. Ce sont des collecteurs en zone de sur-estrans et de platiers. C'est d'ailleurs leur principale activité. Lors des marées basses, femmes et enfants recueillent crabes, vers des sables, huîtres, oursins, bénitiers et coquillages. Les nomades de la mer sont des chasseurs-cueilleurs poussés à la mer, on les appelle aussi les chasseurs de la mer. Ils n'ont que de très peu d'outils de pêche et se servent principalement d'outils de chasse.
Depuis leur existence, les Moken ont toujours privilégié l'autosuffisance même s'ils consomment le riz. Celui-ci est échangé ou (plus récemment) acheté au " tawkays ", les seuls véritables intermédiaires avec le monde dit moderne.
Marginaux jusque dans leurs croyances, les Moken pratiquent l'animisme et le chamanisme. La vie est ponctuée de rituels et de cérémonies, on invoque les esprits des anciens et les éléments ; bien loin des cultures bouddhistes et islamiques régionales...
L'ethnie Moken refuse la compétition et la violence et a longtemps banni toutes formes de commerce. 
Plus surprenant qu'anecdotique, on ne se salue pas chez les nomades de la mer, ni bonjour, ni bonsoir, on ne se remercie pas non plus ; et pour cause, tout ce qui existe sur cette terre appartient à tout le monde...
On estimait en 1990, que la population de nomades marins (répartis en 5 sous-groupes Moken : Dung, Jait, Lebi, Naywi et Chadiak) se composait d'environ 3000 individus. Les différents groupes ont tous leur île de résidence, mais se déplacent fréquemment vers des îles satellites plus éloignées lors de la saison sèche. Commence alors pour eux, la période de collecte. 
Selon Jacques Ivanoff, le taux de mortalité infantile chez les Moken s'élève à 50% et la moyenne de vie de l'adulte plafonne à 40 ans.

 LE KABANG : UNE PIÈÇE MAÎTRESSE DE LA SOCIÉTÉ MOKEN

On peut facilement reconnaître les Moken en observant les singularités de leurs embarcations appelées kabang. Leurs proues et leurs poupes sont fourchues et remplissent plusieurs fonctions. Elles servent de marchepied pour monter et descendre du bateau et de poignée pour le tirer sur la plage. Ces échancrures pourraient également revêtir une signification symbolique. Chaque partie s'inspire du corps humain, les joues, le ventre, la bouche qui mange, l'arrière qui défèque. Un kabang accueille généralement une famille de 5 à 6 personnes. Jadis propulsés par le vent pour les trajets importants, des moteurs ont été installés sur les bateaux construits les 40 dernières années.
Même si les Moken ont longtemps été considérés comme une peuplade ignorante, leur savoir faire d'exception en matière de construction navale a été reconnu par les navigateurs occidentaux, dès le 19ème siècle.

Pour en savoir plus sur les embarcations Moken, nous vous invitons à lire l'article de Jacques Ivanoff publié @ journals.openedition.org

Sources : 
HABITAT MOKEN A KOH SURIN THAILANDE

LES DIFFÉRENTES COMMUNAUTÉS DES PEUPLES DE LA MER

LES NOMADES DE LA MER EN MER ANDAMAN

JACQUES IVANOFF

Impossible de dresser le portrait de Jacques Ivanoff sans évoquer son père Pierre Ivanoff, explorateur passionné par les peuplades minoritaires. Pierre Ivanoff a d'abord exercé ses talents d'ethnographe lors de nombreux séjours en Amérique du sud (jusqu'au début des années 50), puis en Asie du Sud-Est (en Indonésie, en Birmanie et en Thaïlande). Il meurt en 1974, assassiné en mer d'Andaman, lors d'un tournage sur les Moken.
Son fils Jacques, est aux yeux des Moken, le digne successeur de son père et assure ainsi une continuité dans les recherches scientifiques consacrées aux nomades de la mer. Il soutient une thèse de doctorat intitulée Les Naufragés de l’histoire - Les jalons épiques de l’histoire Moken, puis écrit plusieurs études et ouvrages. Il devient chercheur au CNRS, participe à la création de l'Irsea (Institut de Recherche en Sémiochimie et Éthologie Appliquée), et collabore pendant près de 10 ans avec l'université du Prince de Songhkla, en Thaïlande.
Plus tard, ses recherches s'élargissent et concernent tous les Austronésiens de Thaïlande du Sud, il détaille notamment les causes culturelles des violences endémiques de la région.
En 2012, il intègre le Museum national d'histoire naturelle, à Paris.
Considéré comme l'un des plus grand ethnologues de l'Asie du Sud-Est, Jacques Ivanoff est régulièrement invité par les médias afin de commenter et expliquer l'actualité de la région.

À travers les écrits scientifiques, les livres et les films, la défense de la culture Moken a toujours été la priorité de la famille Ivanoff. Toute leur vie, Pierre et Jacques auront contribué à modifier le regard d'autrui sur une minorité en marge. Ils auront tout fait pour sauvegarder les traces de la culture des derniers hommes libres.
Source : wikipedia.org

JACQUES IVANOFF

« CHRONIQUE D'UNE DISPARITION ANNONCÉE »

Aujourd'hui, seulement une centaine de Moken sillonnent encore les 400 km2 de l'archipel Mergui et perpétuent leur mode de vie nomade. Les 800 îles de ce paradis sont quasiment inhabitées et totalement désertées des touristes (ses eaux furent interdites à toute forme de navigation pendant plus de 50 ans). Le territoire fut et demeure demeure le terrain de prédilection des derniers hommes libres du 21ème siècle même s'ils sont victimes d'une politique de séparation ethnique mise en place par le régime autoritaire de la Birmanie depuis de nombreuses décennies. 

Au nom de la préservation des races (soi-disant pour le bien des Moken), le gouvernement encadre, contrôle, regroupe plusieurs flottilles sur une même plage puis fait construire de petites maisons sur pilotis. Ils sont amenés à cohabiter avec des pêcheurs sédentaires birmans. Un Birman est souvent nommé chef de village...

« ...Chassez les Moken, ils reviennent ; réduisez-les en esclavage, ils survivent ; envoyez des missionnaires, protestants ou catholiques, ils résistent passivement ; confrontez-les avec les administrateurs racistes et tatillons —occidentaux et asiatiques—, et ils les « rendront fous »... Les Moken ont le savoir de la résistance passive, de la soumission temporaire, de la fuite élégante ; mais la destruction de leurs symboles entraînera leur mort.

Les Moken de Phuket ont eux-mêmes détruit leur culture, notamment leurs bateaux, et les Moken de Birmanie, en remplissant leurs cales et en supprimant leurs échancrures, réalisent un suicide culturel ; il sera suivi par celui des anciens du groupe qui, impuissants à réguler les flux destructeurs de l’histoire, abandonnent l’un après l’autre leur responsabilité spirituelle.

Un autre danger menace les Moken en Thaïlande, celui de la disparition des essences végétales nécessaires à leur construction navale (Boulbet 1984) ; et s’ils sont autorisés à construire des bateaux, ils doivent se contenter des troncs de qualité moindre. Mais nul ne sait combien de temps durera cette autorisation.

Somme toute, on peut affirmer que la structure technique évolue plus vite que la structure symbolique, l’efficience des mythes étant ainsi révélée. Mais ce savoir parcellaire disparaît des consciences moken d’où s’effacent l’idéologie nomade et les finalités de la mobilité. Le bateau subsumait la société nomade et permettait à tous les membres de la communauté de se retrouver en accomplissant ce rite social qu’était la construction du kabang. Mais l’alliance intime de la technique et du symbolique se délite, et les deux concepts tendent à se dissocier sous la pression du système de représentations des peuples majoritaires. Cette inadéquation entre les discours idéologiques et symboliques rend inévitable une évolution profonde de la société, si ce n’est sa disparition... » Jacques Ivanoff


Sources : 

 ÉGALEMENT SUR RAWAI.FR